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9 juillet 2008 3 09 /07 /juillet /2008 20:58

 

UN AUTISTE

 

 

M. a dix ans lorsque je le rencontre pour la première fois. Il est autiste. Je me suis occupée de lui pendant deux ans à l’école (j’étais son institutrice), au théâtre et à la maison. J’étais en étroite collaboration avec ses parents, son orthophoniste et son éducatrice restée en France, à qui j’envoyais des rapports régulièrement.

 

A l’école :

C’était la première fois que M. allait être dans une classe sans AVS. Le stress était donc important : nouveau pays (le Sénégal), nouvelle école et nouvelle équipe pédagogique. Pour pallier ses angoisses, Mehdi a pris l’habitude d’écrire des pages entières de noms de héros de Walt Disney (son vocabulaire lui venait de là). Au début, je l’ai laissé faire puis petit à petit je l’ai amené à cesser cette activité, du moins en classe ; d’abord en impliquant le fait qu’il devait faire ses exercices pour pouvoir continuer ses listes, et finalement j’ai interdit les feuilles et l’écriture de ces listes. Son discours en fut moins interféré. En effet, « la fonction signifiante est détruite par un fonctionnement de signifiés absolument proliférant, c'est-à-dire que la collection de noms vient détruire la fonction du langage » (Théo Peeters). Avec les arrêts des listes, M. fut moins parasité dans son discours et donc plus cohérent. Il avait de grosses difficultés en mathématiques, surtout en résolution de problèmes, dus aux difficultés d’abstraction que rencontrent les autistes. Par contre, il excelle en français, il a une très bonne mémoire de l’orthographe des mots, et grâce à des affiches pleines de couleurs (l’orthophoniste m’ayant suggéré de jouer sur les couleurs), il a pu intégrer la majeure partie des règles de grammaire. Par contre, l’expression écrite est restée un vrai problème : quelque soit le sujet proposé, ses rédactions ont toutes trait à ses centres d’intérêt qui ont un caractère purement obsessionnels (les dauphins, les baleines, les scorpions, etc…). Son comportement est quasi exemplaire, mis à part quelques écarts que je punissais au même titre que les autres élèves, ne voulant pas marquer de différence. Les enfants l’aimaient bien et connaissaient sa pathologie car nous en avions parlé dans toutes les classes. Il avait une tendance à l’obsession et à la fusion dans son rapport à l’autre. Il s’attachait à une personne en particulier et ne voulait voir qu’elle. Il avait un réel besoin d’avoir et d’être un ami. Il ne fut jamais violent à l’école ce qui n’était pas le cas chez lui (ce problème fut réglé progressivement par la suite).

 

A la maison et au théâtre :

M. refoulait tellement ses pulsions agressives à l’école qu’il se déchargeait sur ses parents (violence physique et verbale). Au cours d’une de nos réunions, il fut convenu qu’il devait faire du sport, du tennis et de la boxe. Une des obsessions de cet enfant était les définitions des mots : il avait perçu qu’un mot pouvait avoir plusieurs significations et il était terrifié à l’idée de ne pas avoir tous les sens des mots. Il demandait sans cesse à ses parents « qu’est ce que ça veut dire… ? ». Voyant les parents dépassés, je leur proposais de renvoyer M. à son dictionnaire plutôt que de répondre à ses incessantes questions. Un autre problème ne fut jamais résolu avec M. : c’était sa tendance sadique à faire des brochettes avec les poissons vivants de son aquarium. Je lui donnais des cours de renforcement, l’emmenais à des expositions de peinture, au cinéma ou tout simplement prendre un verre. J’en profitais pour lui apprendre à demander poliment les prix et à payer (pour ce qui est de vérifier la monnaie qu’on lui rendait, c’était peine perdue, il ne pouvait pas additionner ou soustraire de tête : problème d’abstraction). Il se sociabilisa au contact des peintres et sportifs qu’il rencontrait. Au théâtre, il était au début souvent assis sur le bord d’un banc regardant les autres du coin de l’œil (très typiquement autistique). Il ne se prêtait que de mauvaise grâce aux exercices (surtout à celui du miroir ou encore de concentration mais aimait particulièrement faire des vocalises). Il avait le rôle d’un oiseau englué de pétrole dans la pièce de théâtre. Il ne sut jamais son texte, aussi bref était il. Par contre, il improvisa une gestuelle pertinente et pleine d’humour qui remplaçait très largement son texte. Je suis de l’avis d’Antonin Artaud lorsqu’il dit : « il semble que le langage des mots doive laisser la place au langage par signe dont l’aspect objectif est ce qui nous frappe immédiatement le mieux ». Et M. parvenait à cet objectif là. Mais ce qui m’a le plus surpris, c’est que le jour de la représentation au Théâtre National de Dakar, M. qui avait mémorisé l’ordre de passage de tous les acteurs (ils étaient trente), se mit à mettre les acteurs par ordre de passage, les réprimandant s’ils bougeaient de place. C’est un bon exemple de l’immuabilité qui prime chez les autistes ainsi que de l’excellente mémoire de cet enfant.

Le théâtre et la rencontre avec d’autres artistes ont aidé M. à se sociabiliser ainsi qu’à s’exprimer corporellement et donc à être plus libre dans ses gestes. Il évoluait dans un environnement très favorable : ses parents l’emmenaient partout, il était suivi par une équipe pluridisciplinaire en collaboration permanente. Au bout de ses deux années de prise en charge, M. pouvait avoir une conversation cohérente, n’était plus violent avec ses parents, et a pu intégrer l’école américaine de Dakar.

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